Le Rara comme manifestation du Carnaval

Notes de terrain

Dans le Rara, la fonction des rois et des reines est semblable à celle du majò jon (baton-major). Ils exécutent des danses courtes, chorégraphiées sur le mode comique et destinées à signaler la personne honorée. Cette année le Rara La Belle Fraîcheur de L’Anglade a choisi trois adolescents pour jouer (jwe) le rôle du roi et de la reine; deux grands et maigres garçons jouaient au roi. Ils portaient des capes radieuses, constellées de paillettes rouge et noir, avec un phoenix peint sur le dos, et des shorts à paillettes assorties. Le soleil étincelait sur les costumes et chaque mouvement provoquait des lueurs clignotantes. Ils portaient des chapeaux de paille munis de longues franges qui cachaient leur visage, et leur donnant une apparence de royauté branchée. Ils exécutaient une danse connue sous le nom de mazou, dont la figure de base exige un mouvement gracieux du talon et de l’orteil rappelant le début d’un menuet.

Ils devaient jouer à l’unisson, mais ils n’achevaient pas toujours leurs mouvements, car ils étaient rappelés à l’ordre par quelques  kolonèl plus âgés qui dirigeaient l’action.

Pendant que les jeunes rois dansaient, la famille du prêtre se mêlait au Rara; elle apportait un énorme seau de kleren, un alcool de canne pur qui désaltère les bandes de Rara pendant leur voyage. Ils le remettent au kolonel et des petits godets circulent dans la foule.

La danse des rois terminée, ce fut autour de la reine de danser, ce que la foule apprécia grandement. Cette jeune reine du Rara avait seulement treize ans et elle était très timide. Elle était petite et ronde, elle portait une robe rouge et blanche avec des replis horizontaux et un chapeau de paille. Sa tâche était de convaincre le prêtre de participer en dansant le banda. Tous les yeux étaient fixés sur elle ; cette adolescente timide regardait par terre ; sa tête était inclinée; elle mettait les mains derrière la tête, et elle roulait des hanches à la manière typique de cette danse.  Les joueurs dirigeaient chacun de ses déhanchements à l’aide du « tape! » distinctif à la fin de chaque phrasé, et elle jouait les “Yas!” bombant ses fesses. Plus ils jouaient du tambour, elle s’avançait, jusqu’à ce que le kolonel la pousse dans les bras du prêtre. À ce moment, il lui donna de l’argent, qu’elle a rapidement remis au trezorye ( le trésorier) tout proche qui  portait une énorme boîte en bois dans laquelle il avait mis les précieuses contributions. Tournoyant de plus en plus lentement, elle s’arrête enfin : la danse est terminée.

Voyant que le kleren était épuisé et qu’il n’y avait rien d’autre, le kolonel entraînèrent le groupe.  Les musiciens continuaient à jouer et les femmes à chanter. Sortant en file indienne de la même manière qu’ils étaient entrés, la troupe entière sortit de la clairière et se dirige  vers le soleil.

Nous avons dansé le reste de la journée et la nuit entière. J’ai appris beaucoup de choses, entendu beaucoup d’histoires et j’ai commencé a comprendre les activités et les drames qui se jouaient entre les membres de la bande et le monde des esprits.  « Rara gen anpil bagay ladann », comme dira Madame Giselle lors des trois semaines suivantes: “Il y a beaucoup de choses dans le Rara.”

 (Extrait de Elizabeth McAlister, Rara! Vodou, Power, and Performance. University of California Press, 2002, pp 29-30)

Analyse

La saison du Rara coïncide avec la saison du Carnaval; les activités du Rara commencent le 6 Janvier, journée reconnue dans le calendrier chrétien comme celle de l’Epiphanie. Les bandes de Rara défilent normalement en petites bandes. Elles continuent à défiler après le Carnaval, pendant le Carême, jusqu’à Paques. 

La « tonalité » ou “l’ambiance” du défile Rara est bruyante et semblable à celle du carnaval, et si vous ne connaissez pas le code religieux caché du Rara, vous pourriez penser que le Rara, c’est tout simplement des groupes de jeunes exposant leurs talents de danseurs et de musiciens, dans une atmosphère chahuteuse et rebelle. 

Comme dans le Carnaval, le Rara se caractérise premièrement par l’agitation des gens dans les rues. La période du Rara donne aux hommes l’occasion de se forger une réputation de virilité grâce à leur performance. Les bandes de Rara s’arrêtent pour jouer pour les notables, pour collecter de l’argent. En échange, les rois et les reines dansent et chantent, et les bâtons majors jonglent avec des bâtons et même des machettes! Les costumes du Rara sont connus pour leur travail de paillette fine, qui brillent lorsque les bâtons virevoltent. Il y aussi des costumes moins connus faits d’un tissu courant. Ces tissus des shorts sont suspendus aux chapeaux. La musique et les danses de compétition, les paillettes, et les bandes de tissus ressemblent aux arts festifs d’autres pays de la  Caraïbe.

Par son oralité, son aspect compétitif, et sa virilité, le Rara partage plusieurs caractéristiques avec les autres traditions de performance de l’Atlantique noir comme le Carnaval, le Junkanoo, la Capoeria, le Calypson, le blues, le jazz, les défilés du deuxième rang de Nouvel Orléans et les parades des Indiens noirs, le reggae, la danse hall, le hip hop et nombreuse autres formes de danse. Contrairement à d’autres formes créoles masculines, le Rara est expressément religieux.  

(Extrait du premier chapitre de Elizabeth McAlister, Rara! Vodou, Power, and Performance. University of California Press, 2002.)