Notes de terrain
Ce sujet est un des plus ardus à décrire et un des plus difficile pour les gens à croire. Une fois j’avais une conférence à Princeton University au sujet du langage sexualisant dans le Rara. Je devais grimper sur le podium et prononcer, lors de mon allocution, des mots orduriers comme « chatte » et « bite ». Cela se passait dans une très jolie salle avec des panneaux de bois et les portraits des érudits, qui avaient honoré l’institution, sur les murs. La conférence sur les ‘betiz,’ ou sur le rire sexualisé n’est pas passée facilement dans ces lieux convenables et hautement traditionalistes. Les gens ont pourtant apprécié mon discours et ils ont accueilli mon développement théorique avec beaucoup de sérieux et de bienveillance, mais ils n’ont pas ri du langage hilarant que je décrivais. Les gens n’écoutaient pas facilement ces vulgarités.
Un critique littéraire n’a pas apprécié cette partie de mon texte et pensait que c’était inconvenant la description des betiz, malgré le fait que je faisais un lien entre le langage sexualisant et les dynamiques du pouvoir sexualisé et même avec la dictature militaire. Je crois que quelques intellectuels ne peuvent pas comprendre la sexualité du Hip-Hop et sa culture; d’autres intellectuels ne peuvent pas prendre les betiz au sérieux.
Mais les betiz créoles, comme les vulgarités du Hip-Hop, où l’on a le « relâchement » du dancehall jamaïcain, est une forme importante du langage vernaculaire propre à la culture populaire américaine, et on la retrouve dans la culture quotidienne américaine. Cela a trait aussi au plaisir et aux relations de pouvoir entre les hommes et les femmes. Il y a même des fois où les paroliers utilisent la vulgarité pour exposer l’exploitation des classe populaires par ceux qui sont au pouvoir.
Il y a un débat sur le sujet : les paroles sexuelles dans le Hip-Hop sont-elles carrément misogynes et rabaissent-elles la dignité des femmes ? (Même si les femmes elles-mêmes s’approprient ces paroles?) Ou bien, ces paroles seraient-elles une forme de langage libérateur? C’est un sujet très compliqué : je pense que le vocabulaire peut signifier des choses différentes dans un moment donné; mais les mots peuvent également être fluides, polysémiques, interprétés selon la convenance des gens qui les émettent et les écoutent. C’est intéressant de noter comment nous écoutons, entendons, pensons et comprenons différemment. Deux de mes auteurs préferés sur ce sujet sont Carolyn Cooper (qui a écrit Noises in the Blood: Orality, Gender, and the “Vulgar” Body of Jamaican Culture (1993) et Tricia Rose, l’auteur de Black Noise: Rap Music and Black Culture in Contemporary America (1994).
Analyse
Un part de la créativité du Rara réside dans son emploi de la bravade et de l’insinuation sexuelles. Il est typique que les bandes du Rara chantent des prières Vodou durant leur excursion de la matinée, mais vers le milieu de l’après-midi l’alcool de canne coulant librement, les chansons prennent une saveur vulgaire irrévérencieuse. L’humour et l’insinuation sont utilisés dans des circonstances variées dans la culture haïtienne comme formes de la langue Kreyol et s’appellent betiz. Dans mon livre, je traite des betiz dans le Rara comme une forme d’expression populaire qui révèle certaines vérités sur la sexualité en Haïti; ces vérités sont liées aux forces politiques, économiques et culturelles. Je crois que les betiz des chansons du Rara parlent de l’ordre, de la soumission, de l’exploitation et de la dictature aussi bien de la sexualité et des relations sexuelles.
Je nie que les betiz des chansons soient une forme de rire populaire qui constitue l’unique forme d’expression publique possible du Rara. D’une certaine manière, les betiz des chansons font un travail culturel; elles affirment tous deux l’existence et la vie créatrice d’un peuple face a l’insécurité et la violence quotidienne.
Dans les moments de répression, quand l’impertinence de l’expression est interdite, au moins on peut jurer et chanter des chansons vulgaires. Si on regarde les paroles des chansons en termes de genre, il y a tout un esprit de masculinité qui fonctionne. Mais quelques chansons sont mises dans une perspective féminine et émettent les programmes des femmes. Pour une explication approfondie sur la sexualité, voir le deuxième chapitre de Rara.
Vous pouvez écouter une chanson vulgaire du Rara au track 6, “Kwiy Nan Men, M’ap Mande…al Roule Tete.” NOTE: FIX LINK
(Extrait de Elizabeth McAlister, Rara! Vodou, Power, and Performance in Haiti. University of California Press, 2002, p. 59-79.)