Notes de terrain
Filmer en direct est toujours difficile, c’est une gageure, particulièrement en ce qui concerne le Rara en Haiti ; on doit résoudre de multiples problèmes. Premièrement, le Rara se déplace et bouge constamment : en conséquence, l’équipement doit être mobile, facilement transportable et relativement discret pour ne pas perturber l’atmosphère rituelle. Enregistrer tout en marchant pendant des kilomètres, sur des chemins de montagne dénivelés, cahoteux, peut constituer un exploit ; la concentration et la coordination doivent être extrêmes. De plus, l’électricité est rare, et la population n’y a pas toujours accès. Par conséquent, tout l’équipement doit fonctionner sur batterie ; et cela est plus économique avec les batteries rechargeables. Il faut constamment surveiller le niveau de charge de la batterie et être toujours à l’affût d’un point de rechargement électrique. À part les tâches régulières et les travaux pratiques, notre équipe devait s’entendre avec les « grands Nègres », (autrement dit les grands hommes, c’est-à-dire les riches), ceux qui avaient des onduleurs, des générateurs ou le courant du secteur. Les associations opulentes du Vodou, les hôtels et, ironiquement, les missions catholiques étaient des haltes obligatoires de réapprovisionnement électrique.
Un autre défi de l’enregistrement du Rara est lié à son mouvement constant et à sa forme de parade. Alors que le colonel est à l’avant et dirige avec son sifflet et son fouet, les tambours, le banbou, les cors métalliques et les percussions (grattoirs, cloches, etc.) marchent en vagues semblables à celles d’un bataillon, un groupe après l’autre, suivis par le chœur. En raison de cette configuration spatiale, il est pratiquement impossible de saisir toute la musique produite à un moment donné de la représentation. Il est particulièrement difficile d’enregistrer les instruments et le chœur de manière équilibrée. Dans les meilleurs moments, j’ai pu pénétrer à l’intérieur d’une Rara et concentrer le micro sur des groupes de musiciens depuis l’intérieur. La piste 4 est un exemple de ce type d’enregistrement. D’autres moments propices à l’enregistrement sont ceux où les groupes de rara se réunissent pour s’échauffer avant de partir en parade. Mais la façon la plus réaliste d’entendre la musique rara est de l’entendre de loin, se rapprocher, puis passer, une vague à la fois, et s’estomper lentement dans le lointain.
Une autre difficulté liée au rara réside dans le fait que l’on se trouve avec une communauté dans l’instant présent et qu’il y a toujours de l’agitation. Les gens se déplacent et bousculent le micro, au moment où vous perfectionnez vos niveaux et que la performance atteint son apogée, un homme en face de vous parvient toujours à crier bruyamment à son ami pour lui demander une cigarette. Passer au crible les enregistrements pour voir ce qu’il convient de publier signifie toujours rejeter certaines performances fabuleuses à cause d’interruptions dues à une chose ou à une autre.
Les enregistrements ont deux modes d’emploi : premièrement, je peux les jouer, les rejouer et découvrir un sens que je n’avais pas perçu sur le moment. Travaillant avec mes collègues haïtiens, j’ai transcrit chaque cassette vidéo pour pouvoir analyser les paroles et la musique. J’avais des conversations avec d’autres Haïtiens sur la signification des chansons et on les traitait comme des textes ayant une valence historique et contemporaine. Deuxièmement, les cassettes vidéo ont été utilisées dans l’enseignement. J’ai produit plusieurs albums – incluant les chansons présentées ici – pour que l’on puisse mieux écouter la musique.
(Extrait de Elizabeth McAlister, Rara! Vodou, Power, and Performance. University of California Press, 2002. pp 20-23)
Analyse
Les bandes de Raras peuvent être à la fois simples et complexes. D’un côté, il y a une partie a capella (voix seules, sans instrument) charyio-pye ou « foot bands». Ces bandes trépignent à un rythme qui crée le tempo du chant. (Écoutez cela à la piste 12). De l’autre côté du spectre, il y a les bandes de Rara de Léogane qui ont une audience nationale grâce à leur emploi de musiciens de fanfare des bandes konpa (une danse laïque populaire). Les bandes créaient des mélodies accrocheuses de fort volume afin qu’elles soient entendues de loin. (Écoutez cela à la piste 18)
Un orchestre typique de Rara se compose de trois batteurs suivis par au moins trois instruments de bambou appelés bambou ou vaksin, quelques cornes de métal, qu’on appelle konet; viennent ensuite plusieurs vagues de joueurs de percussion avec de petit instruments à main ; un chœur de chanteurs termine le défilé. Normalement, il y a un chœur d’instrumentistes, dirigé par le majo jon (baton major) ou wa et renn (roi et reine) qui dansent et passent le chapeau.
Les tambours du Rara sont presque toujours de peau de bouc et ils sont de la famille Petwo. Ces tambours sont ficelés avec un cordon. On les règle en ajustant les clés dans les cordons entrecroisés le long du tambour. Les tambours doivent être transportables pour le Rara ; ils doivent aussi être assez légers pour que le tambourineur puisse jouer en même temps qu’il marche, et ceci sur des milles et des milles. La manman, le segon et le kata de la batterie cérémoniale du Petwo sont remplacés par un ensemble plus maniable de manman, de kata et de bas. Les deux premiers sont des tambours à tète unnique, attachés au corps par un cordon passé à l’épaule. Un kès (un tambour de peau de bouc avec deux têtes, qu’on joue avec deux baguettes) peut être joué comme un kata. Le basse est un tambour fait de peau de bouc tendue à l’extrême et entrelacée de cordes qui créent une espèce de toile à l’intérieur de l’instrument.
Le bambou et le vaskin sont les instruments les plus associés à la musique du Rara. Ce sont des tubes de bambou évidés avec un embout taillé dans le bois. Chaque bambou est d’une longueur et d’un diamètre différents afin de produire une tonalité ascendante ou descendante: le bambou bas est long et donne un son d’une estimation basse, et le bambou charlemagne est court et à forte pente. D’autres tonalités s’ajustent entre ces deux extrêmes. Chaque joueur produit avec son instrument une tonalité particulière, et, ensemble, l’orchestre du vaskin improvise jusqu’à ce qu’il trouve un riff court, agréable et accrocheur ; chaque joueur souffle pour créer une mélodie en utilisant une technique appelée «hocketing». Pour trouver leur tempo, les joueurs tapent une partie kata sur le bambou avec un long bâton, ce qui permet à l’instrument d’être à la fois un instrument de mélodie et un instrument de percussion.
Pour plus d’informations, lisez le chapitre 1 de mon livre sur le rara. (Extrait de Elizabeth McAlister, Rara! Vodou, Power, and Performance. University of California Press, 2002, pp. 45-46.)